Au début du roman, un narrateur nous parle d’un mort en mer. Il s’appelle Kermeur. Il se trouve dans un petit bateau avec un nommé Lazenec. Ce dernier tombe en mer. Il n’est pas tout de suite évident ce qui s’est passé, mais deux pages plus tard, Kermeur avoue, d’une manière indirecte, qu’il a balancé Lazenec à l’eau. Il rentre chez lui. La police vient le chercher.
A la sixième page, on ne connaît pas les deux personnages, on ne comprend pas ce qui vient d’arriver, et on ne sait rien de la motivation de l’acte, mais l’auteur a piqué notre intérêt. D’ailleurs, le style du roman est établi: c’est la voix de Kermeur, un récit très concis, mais soutenu par une foule d’images, surtout des images maritimes, et en arrière-plan, une ambiance menaçante.
Le reste du livre est composé de l’entretien de Kermeur chez le juge d’instruction. Celui-ci parle peu, il écoute. On dirait qu’il fait tout ce qu’il peut pour comprendre pourquoi Kermeur a tué Lazenec. L’entretien a dû durer toute la journée, car Kermeur lui raconte une histoire de plus de six années et y ajoute beaucoup d’observations, de réflexions, et de parenthèses. Le juge le laisse faire.
L’auteur a choisi un titre tiré du droit, et le lecteur n’a pas besoin de consulter un avocat pour découvrir le sens. Donc on se rend compte dès le début qu’il s’agira d’une explication intégrale du crime, la motivation du criminel, une tentative de justifier le meurtre, tout ce qui devrait être connu par la justice et pris en considération. Ce roman, est-ce un exercice ou une étude de cas? – Bon, il y a cet article 353: imaginons un assassinat, mais un assassinat qu’on pourrait comprendre, même pardonner, une situation où le meurtrier a rendu un service à la société. ‘Tout comprendre, c’est tout pardonner.’
C’est un roman psychologique, on entre dans le cerveau de Kermeur, on l’entend penser. Il raconte ce qu’il a dit au juge, mais il y ajoute son
commentaire (on vient de lire Des Hommes
de Mauvigny, qui étudie la vie intérieure de deux personnages…)
L’histoire, est-elle vraisemblable? Un grand projet, un investissement immobilier à ne pas manquer, ‘un avenir radieux’, le charisme d’un représentant de commerce expérimenté, tout l’art de la vente (pp70 ff), l’ambition désespérée d’une ville de province qui a souffert un déclin. Tout cela, on connaît très bien, de plus les retards, et à la fin la faillite.
Kermeur et les autres qui ont investi continuent à croire que le projet réussira, sans le moindre signe de vrai progrès sur le chantier, et on attend six ans. Est-ce que c’est possible que ce scénario puisse se passer? Tout le monde est capable de nourrir un grand espoir, surtout suite à des difficultés comme celle de la fermeture de l’arsenal. Quelques uns sont tentés par un pari, Lazenec est un personnage extraordinaire, un acteur doué, qui sait très bien manipuler les gens. Kermeur se demande un moment si Lazenec n’est pas sincère dans ce qu’il veut accomplir dans la ville, pour la ville, tant il se laisse persuader par celui qui lui offre de l’amitié (dont il a besoin). Mais finalement (le suicide de Le Goff et le crime d’Erwan le poussent à l’action?) Kermeur, d’un caractère passif, décide que Lazenec n’a aucun scrupule, il est amoral: il faut le supprimer. Les investisseurs ne veulent pas avouer qu’ils ont fait une grosse bêtise en donnant leur argent à Lazenec. La poursuite du bonheur, ne pas vouloir reconnaître sa propre faiblesse, sa propre stupidité – ce sont des traits humains. De l’autre côté, l’auteur n’exagère-t-il pas? Le projet de développement dure au moins six ans sans progrès, il y a beaucoup d’investisseurs, y compris sans doute des hommes d’affaires modestes qui auraient cherché la rentabilité. Il y a aussi des fonds publics. Personne n’a porté plainte? Il n’y avait pas de contrôle des dépenses municipales? Lazenec n’est-il pas trop parfait en tant que diable de l’histoire? Trop impudent, trop chanceux? Peut-être, mais on est prêt à lui pardonner – (c’est-à-dire à l’auteur, non pas à Lazenec!) à cause des qualités qu’on trouve dans le livre: le
portrait détaillé du personnage de Kermeur, présenté au moyen de ses propres pensées, l’étude psychologique qui mène le lecteur à comprendre comment on pourrait devenir assassin, et le style du livre – le ton, les idées d’un poète, la vision d’un metteur en scène, les images, qui s’entassent quelque fois dans une seule phrase, l’effet quasi hypnotique, qui entraîne le lecteur à vouloir participer à l’acte affreux de Kermeur. On pense à n’importe quel acte, petit ou grand, dont on aurait été témoin, et qu’on croit criminel, mais impuni – qu’on voudrait punir soi-même.
Oui, Kermeur possède un style extraordinaire pour un ouvrier de l’arsenal, même ‘spécialisé’ – est-ce que l’auteur prend lui-même la parole de temps en temps? (cf Paris-Brest)
Le juge est toujours là, il écoute. Il pose de rares questions, il s’impatiente soudain, mais pas longtemps. Parfois, Kermeur nous rappelle qu’il lui parle, mais on risque de l’oublier – jusqu’aux dernières pages du roman, lorsqu’il suggère ‘….ca pourrait aussi être un accident.’ Kermeur n’est pas d’accord. Le juge lui lit l’article 353. Plus tard, Kermeur récite les mêmes lignes, en regardant la mer de sa cuisine (libre, donc on a décidé qu’il s’agissait d’un accident?), et il entend encore une fois la voix du juge: ‘Un accident, Kermeur, un malheureux accident’ – conclusion concise et élégante d’un livre excellent.
Well done, fantastic review!
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